Octobre 1965, au cœur des forêts vosgiennes. Un ancien bûcheron rentré du Canada découvre sa scierie familiale en ruine et décide de la ressusciter. Ce point de départ simple va donner naissance à Les Grandes Gueules, un film devenu légende du cinéma français, intimement lié à l’âme des Vosges.

Une scierie isolée des Vosges a donné naissance à l’une des légendes du cinéma français – Les Grandes Gueules, un film culte entre nature authentique et émotions humaines.

Une aventure humaine née au cœur des Vosges

Le film Les Grandes Gueules raconte l’histoire d’Hector Valentin (incarné par Bourvil), qui revient dans son village vosgien pour faire revivre la vieille scierie hydraulique de son père. Sur place, il affronte la concurrence féroce d’un exploitant industriel et s’allie à des ouvriers d’un genre inattendu : d’anciens détenus en liberté conditionnelle, menés par Laurent (Lino Ventura). Cette trame, adaptée du roman Le Haut-Fer de José Giovanni, mêle amitié virile, réinsertion et lutte contre l’injustice dans un décor montagnard.

Saviez-vous que l’auteur José Giovanni lui-même, ancien bûcheron et ex-condamné, a insisté pour un tournage authentique dans les Vosges dès 1961 ? Il refusa qu’on tourne dans la forêt de Fontainebleau près de Paris, préférant le massif vosgien qu’il avait arpenté. Son flair paie : la nature vosgienne imprègne le film d’un réalisme rugueux. Avec ses bagarres de scierie et ses gueules de durs au grand cœur, certains critiques ont qualifié le film de « western vosgien », tant il emprunte aux codes du western transposés dans nos montagnes.

À sa sortie en octobre 1965, Les Grandes Gueules rencontre un succès populaire immédiat avec plus de 3,6 millions d’entrées en France. Ce fut l’un des tout premiers films français de l’année 1965, plébiscité par un public conquis par son alliance d’action, d’humanité et de terroir. Qui aurait imaginé qu’une scierie perdue des Vosges deviendrait le berceau d’un film culte du cinéma français ? Et vous, cette histoire ancrée dans la terre vosgienne vous donne-t-elle envie de (re)découvrir le film pour ressentir sa force authentique ?

Des décors vosgiens authentiques qui magnifient le film

Ancienne scierie hydraulique du Cellet au cœur de la forêt vosgienne, lieu de tournage du film
Photo d’illustration ne représentant pas la scierie du Cellet.

Si le film vibre d’une telle authenticité, c’est grâce aux paysages et villages vosgiens qui en constituent la trame vivante. Le réalisateur Robert Enrico a posé sa caméra au plus près du patrimoine local : la plupart des scènes ont été tournées dans le département des Vosges.

Le haut-fer familial d’Hector Valentin, par exemple, prend vie à la scierie du Cellet, une scierie hydraulique nichée en pleine forêt près de Gérardmer. Ce lieu-dit, repéré dès 1961 par Giovanni, est devenu un personnage à part entière du film. On s’y croirait : la roue à aube qui entraîne la grande lame, le fracas du bois scié, tout est vrai et tourné sur place.

D’autres lieux emblématiques parsèment le récit : le village du Haut-du-Tôt perché sur les hauteurs, la gare de Saint-Dié-des-Vosges, la rue principale de Gérardmer, ou encore les pentes du Hohneck pour une chevauchée à travers les crêtes. L’atmosphère unique des Vosges se ressent aussi lors de la fameuse fête des bûcherons filmée sur la place Paul Caritey à Vagney – un jour de tournage d’anthologie où environ 10 000 habitants des environs ont participé comme figurants ou spectateurs !

La ferveur locale et la chaleur humaine sont inscrites sur la pellicule. Même quelques villages tout proches d’Alsace et de Meurthe-et-Moselle ont servi de décor pour certaines scènes techniques, mais le cœur du film bat bien dans les Vosges. Forêts de sapins, rivières et scieries d’antan composent un tableau authentique qui a su capturer l’âme du massif vosgien.

Aujourd’hui encore, ces lieux de tournage se visitent presque comme un pèlerinage cinématographique : une promenade sur les traces du film, de Gérardmer jusqu’aux hameaux forestiers, c’est entrer dans l’écran et ressentir l’âme du film sous ses pas. Qui n’aurait pas envie de se perdre à son tour dans ces décors grandeur nature, là où fiction et réalité se confondent ?

Des acteurs légendaires et des anecdotes de tournage savoureuses

Illustration générée par IA montrant deux acteurs français des années 1960 inspirés de Bourvil et Lino Ventura, discutant dans un décor vosgien.
Reconstitution artistique générée par intelligence artificielle – hommage au tournage du film “Les Grandes Gueules” dans les Vosges.

Le succès des Grandes Gueules repose aussi sur son casting exceptionnel, véritable réunion de « grandes gueules » du cinéma français des années 60. En tête d’affiche, deux monstres sacrés : Bourvil et Lino Ventura. Le premier, adoré du public pour ses comédies, y dévoile une facette plus grave et émouvante dans le rôle d’Hector. Le second, habitué aux rôles de durs, apporte à Laurent une profondeur surprenante – un mélange de force et de vulnérabilité qui rappelle les héros américains à la Burt Lancaster.

Leur duo crève l’écran, et la complicité entre Bourvil et Ventura donne au film son âme : on ressent l’amitié naissante entre ces personnages que tout oppose a priori.

Autour d’eux gravite une galerie de visages inoubliables : Jess Hahn, colosse au grand cœur en bûcheron surnommé Nénesse, Michel Constantin, ancien boxeur devenu acteur, parfait en taiseux aux poings d’acier, Paul Crauchet en comptable un peu filou, sans oublier la pétillante Marie Dubois, seule figure féminine marquante, cavalière intrépide au sourire radieux.

Le tournage dans les Vosges a d’ailleurs donné lieu à quelques anecdotes savoureuses. On raconte que Bourvil, entre deux prises dans la forêt vosgienne, amusait les figurants locaux de ses chansons pour réchauffer l’atmosphère des petits matins frais. Lors de la grande scène de bagarre pendant la fête, la mêlée était si réaliste que certaines chemises ont fini en lambeaux et que le réalisateur a dû rappeler : « Coupez ! », tant les figurants, portés par l’enthousiasme, continuaient à jouer la rixe comme si elle était vraie.

Autre fait notable : le cachet de Bourvil et Ventura représentait à eux deux près de la moitié du budget du film – preuve de leur statut à l’époque, mais un investissement payant vu leur performance légendaire. Enfin, signe de l’attachement durable qu’a suscité le film, un forestier de l’ONF se souvient : « Mon père m’a fait découvrir ce film à mes 13 ans… et près de 30 ans plus tard, plusieurs de ses scènes me sont revenues en mémoire lors de mon intégration à l’ONF ».

C’est dire si Les Grandes Gueules a marqué les esprits, jusque chez ceux qui travaillent aujourd’hui encore dans ces forêts. Et vous, avez-vous aussi en tête une scène marquante ou une réplique culte de ce film ?

Les Vosges, terre de cinéma ? Lisez aussi notre article qui parle d’un grand succès du petit écran, la série Zone blanche.

La Tournée des Grandes Gueules : un héritage convivial et culturel en 2025

Image générée par intelligence artificielle montrant une projection en plein air du film Les Grandes Gueules dans un village vosgien, ambiance conviviale d’été 2025.
Image générée par intelligence artificielle, inspirée de la Tournée des Grandes Gueules 2025 dans les Vosges. Représentation artistique, non contractuelle.

Plus d’un demi-siècle après, la flamme de Les Grandes Gueules brille toujours dans les Vosges. Preuve en est la Tournée des Grandes Gueules 2025, un événement itinérant et festif qui célèbre les 60 ans du film. Depuis 2023, le film ressort des bobines pour aller à la rencontre du public dans toute la région, accompagné d’un documentaire hommage : des projections itinérantes ont déjà attiré des milliers de spectateurs nostalgiques ou curieux.

En 2025, l’anniversaire est l’occasion de faire les choses en grand : du 27 au 29 juin, Vagney – qui fut jadis le théâtre de la fameuse fête filmée – organise un week-end entier dédié au film. Au programme : projections en plein air sur la place du village, rallye de véhicules anciens comme dans les années 60, expositions de photos de tournage, et même des visites guidées pour revivre chaque scène sur les lieux exacts.

Le 10 mai, c’est Gérardmer qui rend hommage à son tour, avec une séance spéciale au cinéma, dans la salle André Bourvil, exactement 60 ans jour pour jour après le premier clap de tournage – un clin d’œil émouvant à l’Histoire.

Cette tournée, soutenue par les collectivités locales et des passionnés, se déroule dans un esprit résolument convivial et culturel. On y vient en famille, entre anciens qui ont peut-être été figurants en 65 et jeunes générations qui découvrent le film pour la première fois. On y partage un vin chaud sous les étoiles avant la projection, on chante pourquoi pas la célèbre chanson du film (car oui, Les Grandes Gueules a aussi sa farandole musicale signée François de Roubaix).

C’est bien plus qu’une série de séances de cinéma : c’est un véritable rendez-vous communautaire où tout un territoire célèbre son patrimoine cinématographique. Les villages vosgiens ravivent ainsi leurs souvenirs et font découvrir aux visiteurs l’envers du décor d’un tournage d’époque. En suivant cette tournée, on arpente les routes sinueuses des Vosges d’une projection à l’autre, on admire les scieries restaurées et les paysages qui n’ont pas changé. Ce faisant, on comprend combien ce film, tel un bon vin, a bonifié avec le temps en s’ancrant profondément dans le cœur des habitants.

L’esprit bon enfant, l’authenticité et la fierté locale transparaissent dans chaque étape de la Tournée des Grandes Gueules. Alors, pourquoi ne pas vous laisser tenter ? Prêt à revivre l’épopée des Grandes Gueules lors d’une soirée cinéma sous les sapins vosgiens, la tête dans les étoiles et le cœur en fête ?

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  • Dernière modification de la publication :22 octobre 2025

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